Vous vîntes lors de mes fastueuses funérailles. Mon âme encore présente était suspendue dans l’atmosphère pour ses derniers instants de conscience terrestre dans une sorte de perspective inédite. Vous apparûtes, parmi les nombreuses ombres imprécises écumant les lieux, dans une netteté parfaite qui mettait en valeur vos formes et vos courbes que j’avais pu entr’apercevoir et me représenter quelques années auparavant. J’avais vécu cet événement avec une très grande fébrilité. Comment comprendre, en ce jour de Jugement imminent que cette dernière, qui doit pourtant être présente à son paroxysme est finalement bien moindre ? Peut-être est-ce parce que je ne suis alors plus qu’un spectre ? Nous fûmes à Rome si proche est pourtant si loin.

A mon arrivée aux Enfers, je convainquis Lucifer de me rencontrer et ce, grâce à ma réputation de grand parmi les grands sur terre. Je demandai à ses pieds de m’autoriser à y retourner une journée dans le lieu de mon choix. Dans une mansuétude étonnante mais intéressée, ce dernier accepta la requête en échange d’une œuvre à son goût livrée avant un demi-millénaire. Comment faire confiance en ce diable qui me promet alors mille tourments en cas d’échec ? Un grand espoir fou naquit cependant en moi. Je ne doutai pas de réussir, avec célérité, un chef d’œuvre à la hauteur de mon commanditaire. Je me trouvais alors si loin et pourtant si proche de Vous.

Peu de temps passèrent ici bas, et Votre Mort survint. Ce fut Satan en personne qui me l’annonça dans un malin plaisir. Il savait évidemment le dilemme qui allait terrasser mon esprit. Je fût écartelé par cette nouvelle. La plus grande torture que j’eu subi jusque là. Comment ne pas Vous souhaiter dignement l’Ascension au paradis ? Comment ne pas souhaiter Vous voir enfin ? Ce dilemme moral disparu avec effroi et horreur quand j’appris votre acceptation aux côtés de Lui. Une deuxième torture commença alors, entre remords d’avoir désiré votre ruine à mon profit et regrets de ne pas pouvoir Vous atteindre. Nous fûmes pendant quelques instants alors si proches et pourtant si loin.

Ses suppôts le qualifièrent d’éternel insatisfait. Pendant près de 500 ans, il rejeta mes réalisations et me fouetta personnellement en punition de mes échecs. J’espaçai alors mes créations pour éviter les punitions qui s’avérèrent être de plus en plus douloureuses. Je gardai malgré tout, dans un désespoir irraisonné, quelques pensées positives en imaginant pouvoir enfin Vous revoir. Comment je trouve encore la force de continuer ma tâche ? Comment satisfaire cet être qui ne dispose plus d’aucune envie et de goût pour la vie ? Sa volonté s’infléchit tardivement à ma grande stupeur. Une simple nature morte le fit finalement tenir sa promesse. Une dernière chance d’être proche de Vous.

Me voilà donc aujourd’hui, 499 ans après, devant votre plus belle représentation picturale dans le présent. Celle de mon maître. Je suis comme ces millions d’autres badauds qui viennent vous visiter. Pas tout à fait comme eux. Eux ne possède pas mon amour pour Vous. J’ai l’indicible espoir que Vous ayez pu Le convaincre de me rejoindre ici, dans un marché dont les termes sont équivalents aux miens. Nous pourrions alors nous rencontrer. Je pourrais vous sentir, vous toucher. J’exprimerais mon Amour pour Vous dans toutes les formes que j’ai pu imaginer durant ces longs siècles. Le temps s’arrêterait pour nous rendre service. Plus de notion alors de proximité ou d’éloignement. Simplement une vérité fusionnelle dans une connexion mentale et charnelle parfaite.

Raffaello Sanzio